Vendredi soir, 19 octobre, nous
avions organisé un dîner entre amis à la maison. Entre entrée, plat, dessert et
une bonne bouteille de Bergerac 2010, nous ignorions totalement la fièvre qui s’emparait
du Brésil au même moment…
Cette fièvre : le dernier
épisode de Avenida Brasil, la novela qui a frôlé le record d’audience détenu
par Roque Santeiro (1985). En attendant le premier épisode de Salve Jorge qui
aura pour décor une favela « pacifiée » demain à 21H, retour sur ce
phénomène de société que fut Avenida Brasil, et plus largement sur l’importance
des novelas au Brésil.
Avenida Brasil, tout le Brésil se passionne pour Carminha, Nina et
Jorginho
Depuis le printemps, à 21h, 60 à 72% des téléspectateurs
brésiliens se réunissaient devant leurs écrans pour suivre les aventures de
Carminha, Nina et Jorginho. Chaque jour, une moyenne de 38 millions de
téléspectateurs. Avec une telle audience, ça serait une erreur de dire que le
public des novelas est constitué d’un
public peu instruit et inculte ! Le
phénomène est tel qu’on a vu des professeurs d’université ou des cadres
supérieurs commenter quotidiennement l’épisode
de la veille.
Un tel phénomène de masse a même poussé la présidente
du Brésil, Dilma Roussef, à reporter son meeting de soutien au candidat PT à la
mairie de São Paulo (prévu le jour du dernier épisode) par peur de ne trouver
personne dans la salle de meeting !
Cette novela de la chaîne Globo a été écrite par Joao
Emmanuel Carneiro,
scénariste de plusieurs autres séries télévisées pour globo, elle est réalisée
par Ricardo Waddington.Elle a réuni un
casting prestigieux : des stars brésiliennes comme Marcos Caruso (Leleco)
ou Heloísa Périssé (Monalisa) et de jeunes talents comme Cauã Reymond
(Jorginho) et Débora Falabella
(Nina).
Avenida Brasil, ça commence dès le générique Vem dançar com tudo, qui est une reprise
d’une chanson d’origine angolaise, Vem
dançar Kuduro (tellement connue en Europe qu’elle était dans la playlist de
notre mariage). Oi oi oi, un refrain tellement
entraînant qu’il en était entêtant ! Ensuite, c’est aussi une bande-son trèsréussie : on y a entendu aussi Maria Rita, Adele, Seu Jorge, Rita Lee, Katy Perry, Coldplay, Shakira, Paul Mac Cartney, Zeca Pagodinho et le jeune
prodige américain Lana del Rey (tiens, elle aussi dans la playlist du mariage…).
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Résumé du début
Le Petit Journal, Journal des Français au Brésil a bien voulu nous faire un résumé de l’intrigue :
Le Petit Journal, Journal des Français au Brésil a bien voulu nous faire un résumé de l’intrigue :
« En
1999, la petite Rita est abandonnée par Carminha, sa belle-mère, alors que son
père vient de mourir renversé par Tufao, un célèbre joueur de football, sur
l’avenida Brasil dans la zone nord de Rio. Dans la rue, elle est recueillie par
un couple, Lucinda et Nilo, qui vit dans une décharge. Elle se lie également
d’amitié avec Batata, lui aussi enfant des rues. Très vite, il devient son grand
amour. Jusqu’au jour où Tufão découvre les talents de footballeur de Batata.
Entre temps, et c’est là que l’histoire se complique, Carminha la méchante
belle-mère s’est remariée avec le footballeur. Elle le pousse à adopter Batata,
rebaptisé Jorginho. Il s'avère en effet que le jeune garçon est le fils qu’elle
a eu avec son amant Max et qu’elle avait abandonné à la naissance. Batata s’en
va vivre chez Tufão et Carminha.
Treize ans plus tard, nous retrouvons Rita. Elle s’appelle désormais Nina, a été adoptée par un couple d’Argentins et est devenue chef cuisinière à Mendoza. Lorsqu’elle perd ses parents adoptifs, elle décide de retourner vivre au Brésil afin de se venger de Carminha, qui non seulement l’a abandonnée mais l’a également séparée de son amour de jeunesse. Elle parvient à se faire embaucher par Carminha comme employée de maison. Elle peut dès lors mettre en oeuvre sa terrible vengeance. »
Treize ans plus tard, nous retrouvons Rita. Elle s’appelle désormais Nina, a été adoptée par un couple d’Argentins et est devenue chef cuisinière à Mendoza. Lorsqu’elle perd ses parents adoptifs, elle décide de retourner vivre au Brésil afin de se venger de Carminha, qui non seulement l’a abandonnée mais l’a également séparée de son amour de jeunesse. Elle parvient à se faire embaucher par Carminha comme employée de maison. Elle peut dès lors mettre en oeuvre sa terrible vengeance. »
Le dernier épisode de Avenida Brasil (vous pouvez le voir en cliquant sur le lien!)
[attention spoiler] Le dénouement est surprenant : on apprend que Carminha elle-même a été abandonnée dans une décharge par son père, et après avoir purgé trois années de prison pour le meurtre de Max, elle décide de retourner vivre à l’endroit où son père l’avait laissée, et rejoint le domicile de Lucinda dans la décharge. Entre temps, Jorginho et Nina partent en Californie, ont un enfant, et à leur retour pardonnent à Carminha.
Carlitos, un vieux beau désargenté épouse le même jour ses trois maîtresses, Alexia, Véronica et Noemia (toutes les trois consentantes bien sûr !!!) et le joueur de foot Adauto surmonte un traumatisme d’enfance lié à une tétine qu’il doit brûler pour se libérer et aller de l’avant (là, vraiment, j’avoue que je n’ai rien compris…).
Les novelas ?
Oui, c’est de la culture !
Saviez-vous que les novelas (de
radio ou de télé) trouvent avant tout
leur origine dans le feuilleton français du 19ème siècle ? Les
recettes sont les mêmes : mélodrame, l’amour impossible, les sentiments exacerbés,
la confusion ou l’usurpation d’identité,
la quête du père ou de la mère, les secrets de famille, l’obsession du passé,
la quête des origines, la fragilisation des liens de famille,
la repentance et bien sûr les envies de vengeance et le pardon.
Alexandre
Dumas (Père) ou Honoré de Balzac étaient de grands feuilletonistes, racontant
chaque jour ou chaque semaine un épisode tenant en haleine les lecteurs.
Au
Brésil, l’illustre écrivain Machado de Assis fin XIXe-début XXe), ou le
dramaturge Nelson Rodrigues (XXe) ont
eux aussi écrit des feuilletons dans les journaux.
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De nos jours,
la novela brésilienne apparaît comme une composante très forte de la
culture nationale, et ce sur quatre registres au moins.
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D’une part, la novela permet la
diffusion et l’appropriation du patrimoine culturel littéraire brésilien, comme
en témoigne la diffusion actuelle de Gabriela, tirée du roman de Jorge Amado. Les
novelas rendent la littérature nationale accessible à tous …n’oublions pas
que le Brésil compte encore 14 millions d’analphabètes.
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La
novela joue également une fonction culturelle identitaire, presque du domaine
de la construction d’une identité nationale. Cela se manifeste par exemple au
travers de reconstitutions historiques et de l’insertion du réel au sein de
certains épisodes : images d’archives, personnalités politiques, faits de société. La novela sert de support
pour évoquer ou discuter de problématiques sociopolitiques brésiliennes contemporaines.
« Roque Santeiro »
constitue d’ailleurs un très bon exemple. Cette novela de 1985 a battu les
records historiques d’audience, au moment de l’ouverture politique du Brésil, à
la fin de la dictature. Le scénariste Dias Gomes était d’ailleurs communiste et
très critique le pouvoir, la corruption, le changement d’identité…. Cette novela
a fait un succès dans toute l’Amérique Latine et en Afrique, notamment au
Mozambique.
Ensuite, la novela traite de l’identité collective
brésilienne, ses stéréotypes et ses problématiques raciales (poids de l’esclavage,
situation sociale des noirs, des indiens, relations riches/pauvres…).
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Enfin,
certaines novelas ont une grande valeur artistique (comme Avenida Brasil ou
Gabriela) en plus d’une touche spécifiquement brésilienne, constituant ainsi une
forme de résistance culturelle vis-à-vis des séries américaines. Les novelas
parviennent mieux que les séries françaises à proposer une alternative à la
domination télévisuelle des Etats-Unis.
Toutefois,
les novelas restent bien de la fiction, les invraisemblances sont là pour nous
le rappeler ! Elles ne constituent qu’une lecture, une interprétation, de
la réalité.
Les novelas une
présence quotidienne
Au-delà
d’une simple émission de télé, Avenida Brasil est un véritable phénomène de
société. Comme toutes les novelas son découpage en chapitres quotidiens contient
un suspens à la fin de chaque nouvel épisode.
La
novela suscite donc chaque matin des commentaires des téléspectateurs les plus
assidus, prenant partie pour l’un ou l’autre des protagonistes (Nina ou
Carminha ? Lucinda !)
Souvent,
les gens parlent ainsi : « Tu as regardé la novela hier ? Tu as vu ce
qui s’est passé ? », « Ah mais je ne suis pas d’accord », « Celle-là
elle exagère », « J’espère qu’elle ne va pas se laisser faire ». C’est un lien social !
L’influence
est elle que finalement, les novelas sont connues de tous, même de ceux qui ne
les regardent pas (moi par exemple qui vous écrit cet article en ayant vu moins
de 10 épisodes de Avenida Brasil !). On trouve des informations partout:
sur internet, dans les journaux, sur les réseaux sociaux. Il suffit de lire les
revues qui en parlent, de dialoguer avec les brésiliens, et de lire
régulièrement leurs statuts Facebook !
En
effet, les journaux et magazines, tels que le magazine d’actualité conservateur
Veja, ont régulièrement traité de Avenida Brasil, sous différents angles :
phénomène social, impact publicitaire, débat de société, vie des « people »
de la série…
La page Facebook de Avenida Brasil compte plus de 430
000 fans et a généré plus de 160 000 discussions !
Les novelas une
source d’inspiration
Les
acteurs de novela sont une source d’inspiration pour le quotidien des
téléspectateurs.
La boutique en ligne de la série propose aux adeptes de s’offrir les mêmes
casseroles que Nina, d’adopter le style Latin Lover de Max, celui de Jorginho ou encore les
tenues des trois femmes de Carlitos. Les acteurs y révèlent leurs secrets de
beauté. Il est également possible de préparer son mariage en s’inspirant des
différents mariages des personnages.
J’avoue
avoir moi-même craqué pour une petite veste de sport portée par l’une des
femmes de Carlitos…
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Les novelas
influencent les modes de vie
Il
faut savoir qu’en moyenne, une novela dure de six à huit mois, le temps d’approfondir
la personnalité des personnages et d’aborder d’importants sujets de fond. Avenida
Brasil a duré environ 6 mois.
Il
existe différents types de novelas. Il y a la novela de 18h (en général légère),
celle de (plutôt comique) et enfin la novela de 21h plus dramatique, ancrée dans la réalité
économique et sociale du Brésil.
L’évolution
des contenus thématiques reflète l’évolution (réelle ou présupposée) des mentalités.
La
novela permet au télespecteur de se positionner et de discuter de sujets tels
que la représentation de l’homosexualité et de la transsexualité, l’homoparentalité,
les relations pluri-amoureuses, l’abandon et l’adoption des enfants...
La
novela amène à réfléchir aussi sur ses valeurs, ses postures ou sa conduite à
tenir face à certains aléas de la vie : les femmes battues, l’avortement, enrichissement
personnel ou faillites personnelles rapides,
la maladie, l’alcoolisme, le handicap, la grossesse chez les adolescente,
don du sang, don d’organes. Cette utilisation de la fiction pour é débattre de
telles questions date des années 1990. Cette dimension pédagogique se retrouve
aussi dans notre feuilleton national « Plus belle la vie », qui de
mémoire, a fait l’objet de financements publics (FNASS) pour susciter le débat
autour de questions peu abordées dans la société.
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